La Tribune Libre, Bgex : « Mais au fait, tu fais quoi dans la vie ? »

Fidèle parmi les fidèles, Bgex est un ami rencontré en urbanisme dans le cadre de mes études. Il nous livre ici un problème commun et récurrent à nombre d’étudiants, et plus particulièrement en urbanisme : comment expliquer nos études et ce à quoi nous nous destinons. Bonne lecture !

« Mais au fait, tu fais quoi dans la vie ? », par Bgex

Adepte de la lecture de blogs me voila propulsé à ta demande dans la peau d’invité sur celui-ci. Je m’exécute et je vais parler d’une situation que beaucoup connaissent.

Je pose le décor :
Une réunion de famille, composée d’une cinquantaine de membres dont je ne me sens pas particulièrement proche (banlieusard que je suis, et eux provinciaux qu’ils sont…). Des gens que l’on voit tous les 5-10 ans à des occasions où il est impossible de fuir ces « liens familiaux ». Et comme à chaque fois, c’est une avalanche de « oh que ses cheveux ont poussés ! » (private joke pour Nick’O), de « oh qu’est ce qu’il a grandi ! », ou de « oh qu’est ce qu’il ressemble à machin » (s’adressant à leur voisin comme si je n’étais qu’un objet à décrire). Vient ensuite la question fatidique :

« Mais alors, tu fais quoi dans la vie en ce moment ? »

Je déteste ce genre de questions car bien que dans ma tête je sache parfaitement bien ce que je fais, en l’occurrence de l’urbanisme, je suis toujours incapable de l’expliquer correctement à des gens. Généralement, trois solutions se présentent :

Cas 1, L’explication courte, concise :

« Et bien là je termine mes études en urbanisme, j’ai un mémoire à rédiger et puis je vais me mettre à rechercher un emploi ».

Problème n°1 : ça te fait paraître pour le gars bien asocial qui n’a aucune conversation et qui se contente de répondre vite fait aux questions qu’on lui pose (déjà que je me débrouille toujours pour être un peu en retrait, ça n’arrange pas mon image auprès des autres).

Problème n°2 : « urbanisme » ça ne leur suffit pas, il faut toujours qu’ils aient besoin d’en savoir plus (ou plutôt qu’ils fassent semblant de vouloir en savoir plus, car l’hypocrisie est de mise dans ce genre de conversations)… Leur réponse consiste donc souvent à me dire « oui mais tu fais quoi exactement ? ». Et là c’est l’angoisse, on tombe dans le deuxième cas.

Cas 2, S’enfoncer dans une explication longue, inintéressante et confuse :

« Et bien pour le moment je ne sais pas trop encore vers quoi je vais m’orienter, ça dépend, tu sais c’est assez vaste en fait. En gros ce sont tous les métiers de la ville : études, gestion de projet, aménagement, projet urbain, réseaux, maîtrise d’ouvrage, activités économiques, loisirs voir parcs d’attractions… tout ça quoi. » Oui, sous l’effet du stress mon explication prend souvent la forme d’une juxtaposition de mots sans aucun rapports entre eux qui me viennent à l’esprit … J’imagine mon interlocuteur qui me voit travaillant dans une attraction chez Mickey… quoique, pour certains… :p

Alors souvent, on arrive à percevoir dans les yeux de son interlocuteur toute l’incompréhension du monde, ce qui nous amène à vouloir être un peu plus clair. Erreur fatale :
- « Bon concrètement tu vois quand il y a un terrain à construire, et bien en fait ça ne se fait pas comme ça, y’a tout un tas de gens avant qui réfléchissent à des trucs, qui font des études pour savoir ce qu’il faut faire ou pas, pour savoir comment on peut le faire ou pas…
- Ah ouais en fait t’es un peu architecte
- Euh non c’est pas ça, l’urbanisme ça vient avant
- (regard interrogatif) Avant ?
- Ben ouais, en amont quoi, enfin tu vois en fait quand tu construis un bâtiment ça c’est l’architecte, mais l’urbaniste c’est celui qui réfléchit avant a quel type de bâtiment on va faire »

Notez que j’en arrive à illustrer à partir d’un exemple ultra-précis qui n’est pas du tout représentatif de la diversité des emplois vers lesquels l’urbanisme peut mener. Mais bon, le principal est là : l’interlocuteur peut enfin dire « ah d’accord ! »… même si en fait il n’a rien compris, mais c’est pour la forme… dans 10 ans il reposera la même question.

Au final tu ne passes plus pour le gars asocial, mais plutôt pour le type bizarre qui ne sait pas s’exprimer (car bien souvent l’explication est également agrémentée de magnifique « heu », « ben » et autres bégaiements de rigueur quand on ne s’en sort pas).

De surcroît, ce genre d’explications peut faire suite à une situation ou tu te sens tout aussi ridicule : un cousin fraîchement arrivé en région parisienne qui décrit ses nouveaux collègues comme des banlieusards qui n’en foutent pas une et qui te dit :
- « ah nous on n’a pas été élevés comme ça ici au moins »
… puis il te pose la fameuse question :
- « Et toi, tu fais quoi en ce moment ?
- « eh bien je suis comme qui dirait en situation de transition depuis environ 1 an maintenant… tu sais, quand on finit ses études et qu’on va chercher un boulot quoi »… j’ai quand même eu la lucidité de ne pas dire le mot ‘chômage’ juste après sa remarque sur « les jeunes banlieusards qui n’en foutent pas une » :D

Cas 3, Admettre l’impossibilité d’une explication claire :

La dernière solution consiste à être fataliste, au bout d’un moment il faut accepter le fait que l’autre ne comprenne rien et se résigner à le laisser caricaturer ce que tu fais.

Il y a quelques années, un échange s’était terminé par un
- « ah, tu veux travailler aux ponts et chaussés en fait !
- euh, oui oui c’est ça… enfin sous un autre nom mais c’est ça. »

La dernière en date :
- « Et bien dès qu’il y a quelque chose qui se construit tu m’appelles, j’achèterai !!
- hé hé hé… d’accord je n’y manquerai pas !! »
Bon là je pense qu’elle croît que je vais bosser dans la promotion immobilière… bon et puis zut, de toute façon je la voit une fois tous les 10 ans, elle peut toujours courir pour que je l’appelle un jour ! Haha !!

Je crois en fait que cette solution est la meilleure, même si les gens sont à côté de la plaque. Après il faut se débrouiller pour qu’ils arrivent à associer ce qu’on fait à quelque chose qu’ils connaissent et leur laisser penser qu’ils ont trouvé exactement le terme qui correspond.

Et pour finir en beauté, généralement tous ces échanges se terminent par un « bon ben voila voila hein » … et l’un des deux interlocuteurs qui prend la fuite en prétextant un verre à remplir ou quelqu’un d’autre à aller voir... Ouf, libéré !! Jusqu’à la prochaine personne que je croise…  (Soupir).

Bgex.

                                   Non, urbaniste ce n'est pas ça...! (montage de Ptitmath)

Comments

[Maryneuuuh]

Tout va bien aller ne t'inquiettes pas =)
Merci.
la bise (k'

[Nick'O]

PM -> j'encadre tes propos, tu deviens ma référence pour expliquer l'Urbanisme avec un grand A ;)
Isa -> A chaque étude son fardeau! :)

[isa]

Héhé! Ce post m'a bien fait rire même si je ne peux pas me reconnaître dans ces propos puisque pour la majorité des personnes, études de Droit = juge ou avocat...!

[PM]

hahahahaha!!!
Moi je dis, Begex et Nick'o : le blog commun! un sujet chacun! ^^ c'est trop fort! Je me suis tellement marré en lisant ce message :D Pour mon cas, j'enrobe les choses... les gens croient que je suis à l'origine du monde "La ville est une dimension complexe dans laquelle il faut gérer la circulation, les construction, les bureaux, les logements, les piétons... il faut que tout le monde puisse cohabiter tout en créant une harmonie d'ensemble et une dynamique. L'urbanisme, c'est en fait la gestion de la vie des hommes"... et là, mon interlocuteur me regarde et me dit "tu fais des trottoirs?" ... T_T

[Véronique]

Oui c'est vrai, mais c'est vrai aussi que ça me permet d'échapper au traditionnel rangement familial dans une petite case . Ne pas être ni prof de français (le sort des femmes) ni ingénieur (le sort des hommes), ça a de quoi déconcerter ma grand-mère ! Et elle me fout la paix : aux dernières nouvelles, elle pensait que je faisais une école de quelque chose ^^